Par Guy Sabourin, Ph. D., psychologue et expert-conseil et Éric Beauchesne, M.Ps., conseiller en TGC au SQETGC
12 mars 2012
Il existe actuellement très peu de consensus entre les chercheurs sur la définition d’un « trouble du comportement » (TC) et d’un « trouble grave du comportement » (TGC) chez les personnes ayant une déficience intellectuelle avec ou sans un trouble envahissant du développement, de même que sur la terminologie à utiliser (Emerson, 2001; Sabourin, 2004). En effet, depuis plusieurs années, de nombreux outils ont été développés et différentes méthodologies appliquées pour mesurer ces concepts dans le réseau des services à ces personnes. La majorité de ces outils utilisent un large inventaire de topographies comportementales spécifiques pour évaluer l’ampleur des comportements dits problématiques. En général, c’est la fréquence de ces comportements qui est mesurée, et un seuil est établi dans un échantillon normatif pour conclure à la présence ou à l’absence des troubles du comportement. Cependant, plusieurs auteurs ont mentionné l’importance de mesurer l’intensité ou la gravité de ces comportements problématiques pour arriver à une mesure adéquate de ces concepts chez la clientèle (Sattler, 2001; Sabourin, 2004; LaVigna et Willis, 2005).
Au Québec, Tassé et al. (2010) ont eu recours à une méthode Delphi afin de dégager un consensus sur la définition d’un TC et d’un TGC, parmi des experts québécois (n = 57) exerçant dans le domaine de la déficience intellectuelle (DI) et des troubles envahissants du développement (TED). Selon ces experts, un trouble du comportement est une « action ou ensemble d’actions qui est jugé problématique parce qu’il s’écarte des normes sociales, culturelles ou développementales et qui est préjudiciable à la personne, à son environnement social ou physique » (niveau d’accord pour cette définition d’un TC : 90 %). Tandis qu’un trouble du comportement est « jugé grave s’il met en danger, réellement ou potentiellement, l’intégrité physique ou psychologique de la personne, d’autrui ou de l’environnement ou qu’il compromet sa liberté, son intégration ou ses liens sociaux » (niveau d’accord pour cette définition d’un TGC : 93 %).
Cette démarche est une innovation au Québec dans le domaine de la DI et des TED. Par ailleurs, les définitions retenues au Québec se rapprochent sous plusieurs aspects de celles fournies par différents cliniciens et chercheurs britanniques. En effet, Emerson (1995, 2001) définit les comportements-défis, qui sont un équivalent des troubles du comportement, comme « tout comportement culturellement anormal à cause de son intensité, de sa fréquence ou de sa durée et qui porte atteinte ou est susceptible de compromettre la sécurité physique de la personne ou d’autrui » ou « tout comportement qui est susceptible de limiter sérieusement l’utilisation ou l’accès à la personne à des activités communautaires habituelles.
En 2001, le Collège royal des psychiatres britanniques a défini quatre critères diagnostiques pour identifier la présence de comportements problématiques significatifs ou troubles du comportement (Royal College of Psychiatrists, 2001); les quatre critères doivent être présents pour conclure à la présence de ce diagnostic :
- La présence d’une fréquence, d’une sévérité ou d’une chronicité significative de comportements nécessitant une évaluation clinique, des interventions ou des soutiens spéciaux;
- Le trouble du comportement ne doit pas être une conséquence directe d’un autre trouble psychiatrique (tel qu’un trouble envahissant du développement, un trouble psychotique, un épisode dépressif, un trouble anxieux généralisé ou un trouble de la personnalité), ou de tout autre trouble d’ordre physique ou pharmacologique;
- L’un des critères suivants doit être présent : le trouble du comportement résulte d’impacts négatifs significatifs sur la qualité de vie de la personne ou d’autrui, et entraine une restriction dans : son style de vie, ses opportunité sociales, son autonomie, son intégration communautaire, son accès et ses choix de services ou son fonctionnement adaptatif; le trouble du comportement doit représenter un risque significatif pour la santé ou la sécurité de la personne ou d’autrui.
- Le trouble du comportement doit être persistant et envahissant. Il doit être présent à travers un ensemble de situations personnelles et sociales; toutefois, il peut être plus sévère dans certaines situations ou dans des contextes spécifiques.
En outre, une définition plus récente a été élaborée en 2007 par le Collège royal des psychiatres britanniques en collaboration avec d’autres instances professionnelles. Elle spécifie qu’un trouble du comportement est un comportement dont l’intensité, la fréquence ou la durée sont telles qu’il menace la qualité de vie ou la sécurité physique de la personne ou d’autrui, et risque d’entrainer des réponses ou des conséquences restrictives, répulsives ou résulter en une exclusion de la personne (Royal College of Psychiatrists, 2007).
Il est intéressant de noter une forte concordance entre ces différentes définitions et celles retenues par les experts québécois pour définir la présence de trouble grave du comportement (Tassé et al., 2010).
Peu d’études ont porté sur la prévalence spécifique des TGC du fait, selon nous, de la disparité des concepts utilisés et de l’absence de définition consensuelle. La plupart des études ont porté sur la prévalence des troubles spécifiques du comportement, tel que les comportements destructeurs, agressifs, perturbateurs, etc. Ainsi, les prévalences mesurées variaient considérablement d’une étude à l’autre allant de 15 % à 50 % (Morin et Méthot, 2003; Rojahn et al, 1998; Marineau et al, 1995; Reiss, 1994; Gardner et Moffat, 1990).
Toutefois, deux études britanniques (Emerson et al., 2001b; Lowe et al., 2007) utilisant une définition proche de celle de Tassé et al. (2010) ont porté sur la prévalence des TGC chez des personnes ayant une déficience intellectuelle qui recevaient des services ou des soins dans plusieurs régions administratives en Grande Bretagne. Des interviews ont été conduites auprès du personnel de soins afin de les caractériser et de recueillir des informations sur les services reçus. Des outils standardisés ont été utilisés pour évaluer les troubles du comportement et les altérations du fonctionnement social.
Cette population est comparable à celle des usagers rejoints par les Centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) au Québec.
L’étude d’Emerson et al. (2001b), a mis en évidence une prévalence de 10-15% de TGC chez des personnes atteintes de déficiences intellectuelles qui étaient en contact avec les services éducatifs, de soins ou sociaux spécifiques. Les autres troubles du comportement étaient les formes les plus courantes (9-12%), suivi des comportements agressifs (7 %), des comportements destructeurs (4-5%) et des comportements d’automutilation (4 %).
Des prévalences similaires ont été trouvées dans l’étude de Lowe et al. (2007). Au total 4,5 (2,5-7,5) personnes pour 10 000 habitants avaient des TGC ce qui représentait 10 % (5,5-16,8 %) des personnes ayant une déficience intellectuelle. La forme la plus répandue était les autres comportements difficiles ou perturbateurs.
Conclusion
Les résultats de ces deux études tendent à confirmer une prévalence des troubles graves du comportement variant entre 5 et 10 % chez les personnes prises en charge dans des services d’adaptation-réadaptation du système de services sociaux britannique. Il serait pertinent d’effectuer une étude ayant une méthodologie semblable au Québec, afin de mesurer la prévalence des troubles graves du comportement dans les services d’adaptation-réadaptation du Québec. Une étude semblable permettrait sans doute de planifier à travers le Québec une offre plus adéquate de services spécialisés, voire surspécialisés en troubles graves du comportement. Ceci représente un important défi, non seulement pour les centres de réadaptation, mais aussi pour l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux du Québec.
Les personnes qui manifestent un ou des TGC de même que leur entourage ressentent une souffrance et une importante détresse psychologique; elles subissent aussi des conséquences ou des impacts sévères. En effet, ces personnes sont confrontées aux conséquences et aux impacts négatifs sévères, parfois dramatiques, pour leur santé et leur qualité de vie, mais aussi pour leur environnement social (Tassé et al., 2010). Une première étape à franchir serait donc de les répertorier correctement, d’identifier leur nombre (la prévalence) et leurs caractéristiques afin de pouvoir planifier une meilleure réponse à leurs besoins spécifiques voire même urgents dans beaucoup de situations.
RÉFÉRENCES
Emerson, E. (1995). Challenging Behaviour: Analysis and intervention in people with learning disabilities. Cambridge University Press.
Emerson, E. (2001a). Challenging behaviour: Analysis and interventions in people with severe intellectual disabilities. (2nd ed.). Cambridge, UK: Cambridge University Press.
Emerson, E., Kiernan, C., Alborz, A., et al. (2001b). The prevalence of challenging behaviors: a total population study. Research in Developmental Disabilities, 22: 77–93.
Gardner, W. L, Moffat, C. W. (1990). Aggressive behavior: Definition, assessment, treatment. International Review of Psychiatry, 2: 91-100.
La Vigna, G.W., Willis, T.J. (2005). Episodic severity: an overlooked dependent variable in the application of behavior analysis to challenging behavior. J Posit Behav Intervent, 7: 47–54.
Lowe, K., Allen, D., Jones, E., et al. (2007). Challenging behaviours: Prevalence and topographies. Journal of Intellectual Disability Research, 51: 625–636.
Marineau, N., St-Maur, M., Renaud, N. (1995). La prévalence des problèmes de comportement chez les personnes déficientes intellectuelles. Dans Association scientifique pour la modification du comportement (ASMC), Deuxième congrèsde l’ASMC sur les troubles de santé mentale chez les personnes déficientes intellectuelles. Diagnostic, traitement, service. 1054, rue Pariseau, l’Assomption Québec., 35-39.
Morin, D., Méthot, S. (2003). Les comportements problématiques. Dans Tassé, M.J. et Morin, D. (2003). La déficience intellectuelle. Montréal: Gaëtan Morin.
Reiss, S. (1994). Handbook of Challenging Behavior. Mental Health Aspect of Mental Retardation, Worthington, OH, IDS.
Rojahn, J., Tassé, M. J., Morin, D. (1998). Self-injurious behavior and stereotypies. In T. H. Ollendick & M. Hersen (Eds.), Handbook of child psychopathology (3rd. ed.; pp. 307-336). New York: Plenum Press.
Royal College of Psychiatrists. (2001). Diagnostic Criteria for Psychiatric Disorders for Use with Adults with Learning Disabilities/Mental Retardation (DC-LD). Gaskell, London.
Royal College of Psychiatrists, British Psychological Society, Royal College of Speech and Language Therapists. (2007). Challenging behaviour: a unified approach http://www.rcpsych.ac.uk/files/pdfversion/cr144.pdf
Sabourin, G. (2004). Étude des relations entre les comportements « mal-adaptatifs » et le profil Reiss de motivations chez les personnes présentant un retard mental. Thèse doctorale inédite, Université du Québec à Montréal.
Sattler, J.M. (2001). Assessment of children: Cognitive applications (4th ed.). San Diego : Jerome M. Sattler, Inc.
Tassé, M.J., Sabourin, G., Garcin, N., et al. (2010). Définition d’un trouble grave du comportement chez les personnes ayant une déficience intellectuelle. Canadian Journal of Behavioural Science, 42(1) : 62–69